Les doutes


 J’ai une forme de passion du métier. 

Un feu facile à rallumer chaque matin.

D’habitude.

Oui, parce que là il n’y a plus que des braises. 

En ce moment, voyez-vous, je tangue.

Ce qui nourrit « le feu », c’est en partie le sentiment de faire quelque chose d’utile.


Devant tant de « derniers regards » croisés en peu de temps, je tangue. 

Plus très sûre d’être efficace, de dispenser des traitements adéquats...

Je ne souhaite pas être ailleurs. 

Ma place est bien là, à poser l’indication d’une assistance respiratoire ou à en assurer la surveillance. 

Il est juste lourd, ce doute, au moment d’endormir chaque patient qui peine trop à respirer. 

Se reveillera-t-il?

Serai-je la dernière personne qu’il aura regardée? 


Alors j’y mets ce que je peux. 

Les mots les plus doux, malgré le bruit des alarmes.

Je n’esquive pas. 

Je plante mes yeux dans les leurs.

Je les regarde moi aussi.

Pour qu’ils sentent qu’ils comptent.

Pour qu’ils soient moins seuls.

Jusqu’à ce que les yeux se ferment.


Puis l’aspect technique, les gestes, les soins dans l’optique de réussir à réveiller ces patients prennent le relais.


Des fois les patients s’en sortent, des fois pas.

J’entends de belles choses à propos de ces patients endormis, dans la bouche de leurs proches: «  mon précieux », « mon si bel amour ».

Ce sont des gens avec un métier, une vie.

Je n’ai pas l’habitude de douter autant du réveil des patients.


Par moments oui, je tangue.


Je ferme les yeux et je me dis que cette vie est usante. Que j’en aimerais une autre.

Moins crue.

Ma vie d’avant, en fait.

Ou celle d’après?

Celle d’après. Vivement ma vie d’après.

« Quand il aura filé, le coronavirus ».

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