Clap de fin

 


Il y a ce qu’on décide de faire, consciemment. 

Ces choix qui nous semblent libres au moment où on les opère, mais qui ne le sont peut-être pas.


Certains dilemmes sont plus simples que d’autres : remplir ou pas ? Mettre des amines ou pas ? Intuber ou ventiler? J’adore ce genre de dilemmes, parce que leurs réponse est en général dans un livre, une recommandation, un article, un protocole.


Et puis il y a cette autre catégorie de situations, celles de la vraie vie, où les options sont nettement plus difficiles à peser. Pas de statistiques, pas de protocoles. Aucun calcul possible pour orienter la stratégie. Histoire de ne pas sembler inconséquente, ou simplement parce que j’éprouve le besoin de légitimer mes actions, je trouve quand même quelques arguments pour appuyer mes actes.


Par exemple un jour j’ai arrêté la médecine générale. C’était dans le jura, à Délémont. À l’époque je justifiais ce choix par la quantité de paperasse, le souhait d’être plus focalisée sur les besoins instantanés et indiscutables des patients. Je voulais soulager et protéger, à court terme. Laisser la prévention et les maladies chroniques aux autres. Et il y avait cette petite voix qui me soufflait que je serai moins vulnérable dans les relations courtes avec les patient.e.s., que je pourrai m’y investir sans y laisser trop de plumes. C’est ce que j’ai fait, avec une vraie passion, en anesthésie et aux soins intensifs des HUG pendant 12 ans. 

Je m’investissais quelques heures puis les patient.e.s repartaient et, la plupart du temps, je les oubliais.


Plus récemment j’ai invoqué mille raisons pour, au contraire, quitter l’anesthésie: pratiquer une médecine plus respectueuse de l’environnement, ne plus être prestataire de service pour d’autres mais être réellement le médecin de mes patient.e.s,  avoir plus de disponibilité pour l’éthique, avoir une certaine maitrise de mon temps. 


Trajectoire personnelle et professionnelle s’entremêlent : je n’ai plus peur d’être noyée dans la relation avec les patient.e.s., je n’ai plus besoin d’être un médecin capable de réanimer pour me sentir légitime, ni d’être à l’hôpital nuit et jour pour exister.


Ce sont pleins de raisons tout à fait valables… Mais si je suis honnête je dirai plutôt que j’écoute attentivement mon intuition . 

Je  pars parce que je me sens appelée vers une médecine plus simple, plus sobre, plus proche de la population. 


Les soins aigus ne sont peut-être pas ma destination finale, mais ils m’ont construite comme médecin et comme individu.


Alors « Merci ».

Pour les gardes partagées, les rires, les trucs et astuces quand les gestes étaient difficiles, pour tous ces moments d’apprentissage que j’ai tellement appréciés, pour les discussions d’une intensité particulière qu’on a eu pendant les gardes de nuit.

Merci pour la traversée collective de la pandémie qui restera un souvenir étrange, pour les doutes que vous avez apaisé, pour le respect dont vous, mes collègues, m’avez souvent gratifiée. 

Merci à ceux qui ont nourri ma curiosité, à ceux qui  ont partagé avec moi des projets « chouettes », ou carrément « passionnants ».

Je n’oublierai pas non plus ces instants exceptionnels et qui n’existent qu’en anesthésie, où le corps fonctionne sous nos yeux: la musique du monitorage me manquera sans doute.


Et, bien sûr, le mot de la fin est pour les équipe de la maternité et de l'ophtalmologie, qui, par leur confiance, ont grandement contribué à mon épanouissement. J’y ai rencontré des mentors et aussi des amis. 


Ce dimanche, je quitte mon costume de marchande de sable. Évidemment j’ai le vague à l’âme… Mais peut-être connaissez-vous cette phrase de Baptiste Beaulieu, médecin et écrivain:


« Ne craignez pas la tristesse (…) elle est la trace éclatante que quelque chose de beau a existé. »

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les bonnes mères

De l’autre côté …