Juste après l’orage

 Je suis arrivée pour la nuit. La salle où je suis entrée était « comme quand il y a eu une hémorragie ».  Physiquement encombrée de gens et d’appareils divers. 

Un peu de bordel. 
Un assez grand silence. 
Chacun se concentrait. Les obstétriciens pour terminer leur geste. Les anesthésistes pour diminuer au maximum les dégâts liés à une perte massive de sang. 
C’était juste après l’orage. Ça ne saignait plus. C'était presque sous contrôle...
La dame était là, endormie, surveillée sous toutes les coutures. Mes collègues, qui terminaient leur garde, avaient mis toute leur énergie à courir après l'hémorragie, à limiter le «retard de remplissage ». 
Quand ça commence à saigner nous sommes déjà en retard. Toujours. 
Il faut dire qu’ils avaient super bien fait leur job. 
Malgré les 2-3 litre de sang que cette femme avait perdu au cours de son accouchement, les résultats d’examens étaient plutôt bons: avec un peu de temps et en poursuivant les transfusions, nous pensions réveiller la patiente.
Les choses ne se passent pas toujours comme prévu. 
Ça n’à pas été catastrophique, mais pas comme sur des roulettes non plus. 
Je n’ai pas pu réveiller cette jeune maman qui a eu besoin d’une intervention et de réanimation. Je l’ai transférée à une équipe différente pour la suite des soins.
Et puis il y avait sa mère venue d’un autre continent.
La sage-femme m’a attrapée par le bras pour qu’on aille la voir. Il fallait que je lui explique. Où était sa fille. Où était le bébé né à 5 mois et demi de grossesse. Ce qui allait arriver.
J’ai répondu aux questions.
Nous étions devant le service de néonatalogie. 
Ce service est dans le bâtiment où je travaille et, pourtant, je n’y avais jamais mis les pieds.
Moi, je m’occupe des mères. 

Je suis entrée et je suis allée donner des nouvelles de la mère à l’équipe qui s’occupait du bébé, vaillant malgré son très jeune âge. L’infirmière m’a alors  demandé de raconter les événements au bébé, en insistant sur l’importance de parler aux prématurés...
Alors je me suis retrouvée là, à raconter à cette petite fille ce qui arrivait à sa maman. Le père, lui, était à des milliers de kilomètres de la maternité.
Étrange sensation.
Être anesthésiste consiste parfois à s’occuper de gens endormis que l’on a jamais vu éveillés, de gens qui n’ont même pas idée de notre existence. 
Comme cette jeune femme que je ne connaissais pas. 
Pourtant, j’ai touché au cœur de son intimité, parlant au nouveau-né avant elle, avant son mari.
J’ai laissé un tout petit texte sur place. Quelques mots brefs, pour décrire la situation, et évoquer cet enfant au poids plume, si émouvant. 
Quelques mots, pour aider ses parents à combler le trou de leurs souvenirs absents, les débuts de leur tout petit sans eux. Je n’ai pas signé. 
Je dis à mes enfants que j’exerce la profession de marchand de sable. 
Parfois, mon travail, c’est autre chose. 
Mais c’est toujours assez poétique.
Cette nuit-là, j'étais un trait d’union entre la mère et son enfant.

(Photo sans lien avec l’histoire racontée, libre de droits.)


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